La théorie financière est-elle nécessaire pour comprendre la crise de la zone euro ?

Louis Ferdinand Céline dit : « On ne meurt pas de dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire ». Les Etats doivent aujourd’hui des milliards au système financier et donc par peur du risque de défaut, le système financier ne souhaite plus prêter. Néanmoins, cette situation d’endettement des Etats n’est pas nouvelle vu qu’elle existe depuis le moyen âge et ce n’est que depuis la fameuse crise des « subprimes », en 2007, que cet endettement excessif pose problème. La hausse de l’endettement a été impulsée par la théorie financière qui est un mélange de la théorie économique et des pratiques financières qui voyait l’intervention de l’Etat comme nécessaire soit pour réguler l’activité soit pour assurer l’allocation optimale des ressources. Cet endettement massif a créé un effet boomerang qu’aucun théoricien n’a pu anticiper. Tout d’abord, nous aborderons l’aléa moral généré par la théorie financière et ensuite, l’optimalité de la Zone Euro.

On a souvent clamé le retour de Keynes lorsque les Etats ont investi pour éviter les faillites bancaires en chaîne et limiter les récessions mais aucune théorie n’a anticipé le paiement de la facture. Ces interventions ont permis d’éviter le retour du protectionnisme (spectres des années 30) et donc dans ce cadre, la réactivité des Etats est à souligner. Cependant, nous pouvons remarquer que les théories ont toujours eu du mal à prévoir les risques systémiques car ils dépendent de causes structurelles ou comportementales. Il est impossible, en effet, de prédire la diffusion de mauvaises informations et certains comportements étranges (exemple de Richard Severin Fuld) : ce problème relève davantage de la psychologie que des théories. Pourtant cette théorie en évoquant le fait que les Etats ne meurent jamais a eu tendance à accroitre l’opacité des Etats qui se sont vus, je pense, plus puissant qu’ils ne le sont. La France n’a pas par exemple jamais été en situation d’équilibre budgétaire depuis 1975 et le remboursement de la dette représentait déjà 50% du budget de l’Etat avant 2007.

Poussé par les néo-keynésiens et les difficultés cycliques de l’économie, nous avons assisté à des relances budgétaires depuis les années 80 et dans ce cadre, la théorie financière est responsable des crises actuelles. En effet, la dérèglementation ainsi que le développement de l’innovation financière pour mieux répondre aux besoins de la globalisation nous disait-on, de la perfection des marchés nous assurait-on, ont instauré une concurrence féroce entre les banques et ont rendu le système financier particulièrement instable (cf. le rôle des Hedge Funds). Cette hyper concentration bancaire a créé des établissements « Too Big To Fail » ce qui pose un problème d’aléa moral : l’assurance de garantie permet aux banques de prendre des risques inconsidérées que les Etats renflouent en cas de détresse bancaire. Cet aléa moral caractérise le problème des théories : elles analysent ex post. En effet, personne n’à anticiper le problème des dettes souveraines car à l’instant t-1, s’endetter était la meilleure solution mais à l’instant t les conséquences de cette décision étaient imprévisible.

Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de l’apport de Bale III et de ses bienfaits sur l’activité bancaire mais qui nous dit que Bale III ne va pas bloquer le financement de nos économies ? Augmenter le chômage ? Ou encore provoquer une fuite des capitaux ? Les théoriciens subissent davantage l’activité économique plutôt que de l’anticiper et de ce fait, nous propose une analyse ex post. Effectivement, si nous pourrions comprendre les particularités de cette crise, nous serions capables d’entreprendre les mesures nécessaires pour l’endiguer. Or, aujourd’hui, nous cherchons à réguler tous les pays car nous sommes incapables de prévoir quel sera le prochain en cessation de paiement : Grèce ? Irlande ? Italie ? Espagne ? Nassim Nicholas Taleb appellerait cette situation un cygne noir c’est-à-dire un incident imprévisible qu’aucun modèle mathématique ou théorique ne peut prévoir. Il est le seul à ma connaissance à avoir créé, d’après ses dires, un algorithme capable de prédire ce genre ce phénomène et donc de les comprendre. En conséquence, les théories ont toujours un train de retard sur la réalité et permettent une analyse ex post mais l’analyse post ante est difficilement réalisable surtout dans une économie de plus en plus globalisée.

Comme nous venons de le voir, nous nous plaignons du fait que les théories n’anticipent pas mais réagissent face à une situation présente en prenant la meilleure décision à l’instant donné sans étudier les conséquences futures. Pourtant, les économistes avaient prévenus quand aux difficultés de la Zone Euro face à la gestion des chocs, notamment à cause des questions de sous-optimalité de la zone monétaire. Pour Mundell, il est nécessaire qu’il y ait une forte mobilité des personnes pour que la zone soit homogène afin que ces personnes servent de rééquilibrage en cas de choc. Or Milton Friedmann, monétariste, démontra que la zone monétaire Européenne ne remplit pas ce critère et donc l’Union Européenne n’est-elle pas aller trop vite dans son intégration ? En effet, aujourd’hui nous voulons une zone plus fédérale avec une vrai politique budgétaire et une mutualisation des dettes mais la gestion de la crise a mis en lumière de profondes différences entre les Etats : conflit Allemagne/Grèce, stratégie d’open market de la BCE,… Par ailleurs, c’est suite à la crise des subprimes et du problème des dettes que nous avons créé les mécanismes de soutien permettant de lever 1 000 milliards grâce au MES et FESF.

Ces mesures font encore preuve de suffisance car elles peuvent sauver un petit Etat comme la Grèce mais en cas de faillite d’un grand pays comme l’Espagne ou l’Italie, ces fonds ne seront pas suffisants et donc il nous faudra encore agir dans l’urgence.

Ces divergences ont été parfaitement anticipées par les théories financières qui nous ont prévenues dès les premiers pas de l’Union Européen en nous indiquant qu’une intégration économique devait s’accompagner d’une convergence aussi bien politique que sociale. Pourtant, aujourd’hui, la Grande Bretagne fait cavalier seul et ce n’est pas avec la volonté de François Hollande qui voit le secteur financier comme le seul facteur responsable de la situation actuelle que nous arriverons à les faire revenir dans l’Europe, l’Allemagne à cause de son statut de première puissance économique impose sa vision de l’Europe et ne l’entend en aucun cas la partager. De plus, les autres grands de l’Europe doivent avant tout gérer et limiter leur déficit public et stopper l’hémorragie de la dette avant, par exemple, de développer un impôt européen. L’UE doit donc aujourd’hui réduire les déficits et les dettes tout en augmentant la croissance et diminuant le chômage : équation impossible ? Les théories financières devraient nous permettre de la résoudre car les solutions existent notamment en recentrant les activités bancaires sur la « private equity » et moins sur la finance de marché, en redéfinissant le rôle de la BCE comme préteur de dernier ressort de plein exercice et en lui donnant un objectif de croissance et d’emploi et non plus seulement d’inflation.

Cependant, ces décisions ne sont pas garanties de succès et comme nous avons pu le voir, les théoriciens sont meilleurs dans la réaction que dans l’anticipation mais en régulant le secteur financier, partie la plus instable de l’économie, selon Keynes, nous devrions éviter les effets de contagion au sein de la Zone Euro et donc mieux gérer la crise.

En conclusion, la théorie financière est indispensable pour comprendre le problème des crises des dettes souveraines car ce sont elles qui ont guidé les Etats vers le chemin du libre marché au sein de la Zone Euro ce qui a favorisé les effets de contagion et augmenté l’instabilité du système puis ensuite qui ont incité les Etats à investir massivement, souvent de manière désordonnée, pour stopper la crise. Résultat : ils ont déclenché une crise bien plus profonde basée sur l’hypothèse qu’un Etat ne meurt jamais. Or, la Grèce n’est pas passée loin du défaut de paiement et les situations de l’Espagne ou encore de l’Italie ne laissent rien envisager de bon. L’avenir nous le dira mais historiquement, les théories ont toujours été meilleures dans la réaction que dans l’action…

Maxime Rousseff

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