La banque universelle, une entité française

Le développement des banques
Avant le 18ème siècle, les fonctions bancaires se limitaient à l’émission de billets (centre de dépôts), au change des monnaies, aux crédits commerciaux et au financement des gouvernements, car les économies étaient peu développées. Au début de la révolution industrielle, les besoins de financement sont faibles, car l’investissement est peu couteux. Les entreprises vivent donc d’emprunt à court terme (crédit commercial, avances,…). Mais avec l’apparition des chemins de fer, le besoin de financement à long terme se fait ressentir ce qui pose quelques problèmes : par exemple, la multiplication des billets au-delà des encaisses ce qui entraîne un risque de faillite bancaire et une instabilité monétaire. La deuxième partie du 19ème siècle a donc permis l’ouverture d’un contexte favorable à une révolution bancaire et la formation de grands établissements de crédit. Cette révolution est poussée par Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon qui considère que l’investissement industriel doit être favorisé en dégageant des capitaux et faire en sorte que ceux-ci servent efficacement au financement des projets industriels.

Le rôle des banques
L’équation épargne = investissement s’est modifiée avec le temps du fait de l’adaptation du système financier et bancaire à l’économie mais aussi grâce à l’évolution des approches théoriques. Les théories économiques ont toujours placé le rôle de l’épargne comme le moteur principal de l’investissement et donc de la croissance à long terme. Dans ce contexte, le rôle des banques est fondamental car ce sont elles qui, par l’intermédiaire soit de succursales soit de familles aisées, drainent l’épargne et la mettent à disposition des investisseurs. Pour les classiques, l’épargne représente le renoncement à la consommation immédiate et apparait donc comme la condition indispensable à l’investissement et à la croissance : équilibre ex-ante qui doit être géré par les banques. En revanche, pour les keynésiens, l’investissement créé un supplément de revenus et donc d’épargne à travers l’effet du multiplicateur. Si l’épargne se révèle insuffisante, le recours au crédit peut-être justifié ce qui entrainera la réalisation d’un investissement qui produira ex post une épargne nécessaire à le financer. Le rôle des banques est donc de collecter les dépôts et accorder des crédits aux entreprises et aux ménages qui souhaitent se financer. La banque n’a pas besoin d’une épargne préalable car elle crée de la monnaie en contrepartie de la créance détenue.
La mise en place de modèles financiers de plus en plus complexes a rendu l’activité bancaire très opaque. Cette opacité croissante, due principalement aux innovations financières en continue et à une diversification des activités bancaires, est un élément clef de la volonté du changement aujourd’hui.

Séparation des activités bancaires
La période du 19ème siècle, où développements économiques et sociaux se sont mélangés, a permis le développement des grandes fonctions bancaires que l’on connait aujourd’hui :
– Les banques centrales qui sont des banques privées ayant le monopole de l’émission bancaire. La hausse du financement à long terme nécessite un prêteur en dernier ressort, les institutions d’émissions vont donc solliciter ces banques pour régler leurs dettes envers les autres banques et répondre à la demande des clients. Les banques centrales vont, en temps de crise, assurer l’approvisionnement en monnaie de l’économie (refinancement) et la continuité du système de paiements.
– Les banques d’affaires sont possédées par les grandes familles de l’époque et sont souvent appelées les « marchant bank ». Ces banques travaillent avec leurs propres ressources, financent les grands produits (coton, tabac, céréales) et sont les créanciers des gouvernements. Elles financeront par la suite l’activité des grandes entreprises. Par exemple, James de Rothschild a créé la Compagnie des chemins de fer du Nord pour relier la France et la Belgique. Ce rôle se caractérise par l’émission et le placement d’obligations sur les chemins de fer.
– Les banques de dépôt sont sollicitées de plus en plus par les entreprises en cette période de développement économique. Néanmoins, au départ il est difficile pour ces banques de répondre à ces besoins car ce ne sont pas des sociétés par action. La mise en place en 1826 des « joints stock banks » en Grande Bretagne suivi en 1867 par la France, permettent le développement des succursales, et d’assister à l’apparition de grandes banques de dépôts : 1859 le CIC (Crédit Industriel et Commercial), 1863 le Crédit Lyonnais, 1864 la Société Générale. Ces banques vont créer des succursales, drainer des dépôts et pratiquer des opérations de crédit à court terme.

C’est donc dans cette période que se dégage l’activité principale des banques : financer l’économie à travers la transformation bancaire c’est-à-dire en utilisant l’épargne des épargnants pour financer des projets. Durant cette période, l’apparition de nouvelles banques favorisent ainsi la concurrence face aux anciennes maisons et se faisant baisse le coût du crédit.

Le choix d’un modèle hybride, à la française
« Les ressources de court terme ne doivent pas être affectées qu’à des crédits courts », selon H. Germain, fondateur du Crédit Lyonnais. Le choix du modèle bancaire est toujours un sujet d’actualité, le G20 souhaite aujourd’hui un retour à la spécialisation bancaire et mettre fin au modèle de la banque universelle. La Grande Bretagne fut le premier pays à opter pour la spécialisation bancaire en deux pôles : les « merchant banks » qui organisent l’emprunt et font des montages financiers et les « commercial banks » qui collectent les dépôts et s’occupent de la gestion des paiements. Ce modèle s’oppose au modèle allemand qui opte pour la transformation bancaire. En effet, les banques allemandes utilisent l’escompte commercial et offre des crédits longs : les banques allemandes utilisent donc la transformation bancaire pour financer l’économie. Néanmoins, cette transformation est possible car les banques soutiennent un petit nombre d’entreprise ce qui est facteur de concentration industrielle.

La France, dans ce contexte, opte jusqu’en 1870 pour un modèle de banque universelle afin de mobiliser les capitaux d’actifs et les mettre au service de l’industrie notamment pour rattraper son retard sur l’Angleterre. Par exemple, les Banques Lafitte et le Crédit Mobilier sont des banques multifonctions : collecte d’impôts, opération de financement à long terme principalement sur les chemins de fer. Néanmoins, une règle de prudence s’installe et la France va copier le modèle allemand. Les premières caisses d’épargne vont être une véritable révolution car elles vont permettre aux personnes aisées comme aux personnes modestes de valoriser leur épargne ce qui permet à la fin du 19ème siècle de drainer une masse croissante de capitaux. Cette période est aussi marquée par une forte innovation financière où les entreprises utilisent massivement l’autofinancement mais aussi les marchés financiers pour financer leurs projets avec, par exemple, dès 1867 la création des sociétés anonymes. Néanmoins, au début de la première guerre mondiale, l’activité des bourses de valeurs reste faible et est monopolisée par les titres de la dette publique émis par la Haute Banque et destinée à une clientèle très aisée. De plus, cette activité est freinée par le fait que peu d’entreprises adoptent le statut de société par action : seulement 15% des sociétés françaises de l’époque. Le financement direct reste le choix préféré des entreprises

Cette difficulté du modèle français à adopter un modèle unique se retrouve encore dans les débats d’aujourd’hui suite à la crise des subprimes. En effet, les gouvernements ont créé un climat d’incertitude croissant en modifiant régulièrement la réglementation des banques. Ces lacunes se répercutent dans le monde actuel au sein d’une économie de plus en plus globalisée et de moins en moins gérable au niveau étatique.

Les banques françaises face à la globalisation financière
La première partie du 20ème siècle fut marquée par une profonde instabilité internationale car les deux guerres mondiales ainsi que la crise financière des années 30 ont considérablement bouleversé la hiérarchie mondiale. La première guerre mondiale a créé une forte inflation ce qui a causé la ruine des rentiers et la crise financière fait disparaître l’épargne et décrédibilise les placements boursiers : en 1945, on ne peut donc plus s’appuyer sur une épargne préalable.

La France, le choix d’une économie d’endettement
Dans la plupart des pays d’Europe la reconstruction est nécessaire ce qui signifie que l’investissement est supérieur à l’épargne et donc plusieurs types d’économies vont se mettre en place. Les pays anglo-saxon vont principalement utiliser une économie de marché pour se reconstruire c’est-à-dire qu’ils vont pratiquer la spécialisation bancaire (Glass Steagall Act, 1933) afin d’obtenir une multitude d’intervenant sur le marché. De plus, ils souhaitent que les entreprises se financent en majorité par leur profit, que les banques se refinancent sur le marché monétaire, que la Banque Centrale exerce son rôle de préteur en dernier ressort et que les politiques monétaires se basent sur l’open market. L’Allemagne, en revanche garde son modèle de banque universelle où un petit nombre de banquiers joue un rôle clef auprès des entreprises en tant que pourvoyeur de crédit et actionnaire. Les entreprises allemandes se financent principalement par autofinancement et peu par les marchés financiers (seulement 2% en 1991-1993) : le capital des entreprises allemandes est donc protégé des prises de participation étrangères et les fusions apparaissent limitées.

L’objectif des pouvoirs publics français est de trouver des ressources longues pour financer l’investissement des secteurs prioritaires après 1945 : énergie, sidérurgie, logement et agriculture. Les banques disposent de ressources courtes, le marché financier fait peur et c’est donc l’Etat qui prend en charge le financement de la reconstruction en débloquant des fonds afin d’accorder des crédits à taux réduits aux secteurs prioritaires. Les banques n’ont donc quasiment aucune liberté de mouvement car elles doivent souscrire à un certain nombre de bons du trésor et ne peuvent se refinancer qu’auprès de la banque centrale : le financement du Trésor représente 50% de la masse monétaire dans les années 50. Néanmoins, la loi Debré Haberer en 1966-1967 supprime la spécialisation bancaire et allège les contraintes administratives : les banques de dépôts peuvent inscrire l’épargne à leur passif et accorder des crédits longs, le refinancement auprès d’autres institutions est possible et la Banque Centrale s’engage à refinancer les banques de second rang. Cette loi permet une création ex post de la monnaie c’est-à-dire l’utilisation du diviseur de crédit.

L’économie bancaire, en France, après la guerre est donc gouvernée et dirigée par l’Etat. Cette économie d’endettement se caractérise par des crédits à taux fixe et préférentiel subventionné par l’Etat (45% des crédits au total) et l’endettement bancaire provient à 63% du financement externe (seulement 28% pour les actions). Cette faiblesse des marchés financiers est due à la préférence des ménages pour la liquidité mais aussi à l’absence d’une retraite capitalisée (différence avec les fonds de pension américains par exemple).

La déréglementation, une totale liberté pour les banques ?
Les difficultés de l’économie d’endettement se font ressentir : taux d’inflation important, système très protégé et peu externalisé ainsi que la multiplication des crédits bonifiés qui ne permettent pas une concurrence juste. Les mesures gênent donc le financement de l’économie. Par ailleurs, les années 1980 marquent un changement de mentalité où les ménages souhaitent valoriser leur épargne : développement d’une épargne financière et de l’innovation financière. La France se dirige donc vers une économie de marché.

La dérèglementation du marché a été rendu possible notamment par la création d’un second marché plus accessible en 1983, la mise en place de lois bancaires en 1984, la création d’un marché financier spécialisé dans les produits dérivés en 1986, la création des OPCVM en 1988, la fusion des places boursières de Paris, Amsterdam et Bruxelles et 2000 et la création de NYSE Euronext en 2007.

Cette déréglementation a donc été très rapide afin de répondre aux besoins des entreprises mais aussi des ménages. En effet, les entreprises font de moins en moins appels aux crédits bancaires et les épargnants veulent valoriser leur épargne : les banques sont donc détournées de leurs fonctions traditionnels. Ces lois ont permis le réduire le nombre de procédures spécifiques, de décloisonner et de lever les interdictions au sein du système de financement afin d’obtenir un marché plus ample et homogène. Une des grandes innovations intervenues durant les années quatre-vingt a été le mouvement de désintermédiation, qui a rendu possible l’accès direct des agents économiques non financiers aux marchés des capitaux. Ceci traduit donc le passage progressif d’une économie d’endettement à une économie de marché, notamment avec la multiplication des modalités de financements de l’économie et l’apparition de nouveaux titres et de nouveaux opérateurs.

La rapide libéralisation du marché bancaire est toujours très vivement critiquée car la règlementation des institutions a été faible et la prise de risque par ces dernières forte malgré la mise en place de Bâle I en 1988. En effet, il faudra attendre 2006 pour la mise en place de Bâle II et, bien que les gouvernements connaissent les risques des systèmes financiers, il y a eu de l’attentisme ce qui a permis aux banques des institutions « too big to fail ».

Faut-il limiter la concurrence entre les banques ?
L’intégration européenne s’est basée sur une forte intégration économique entre les pays, mais en favorisant la concurrence entre les banques, elle les a poussées à réagir comme des entreprises, c’est-à-dire à conquérir des parts de marché et donc s’éloigner de leur fonction première de financement l’économie. En effet, la mise en place de la déréglementation en Europe a favorisé la hausse de la concurrence entre les banques ce qui a entraîné un développement de l’innovation financière peu contrôlé et une orientation de l’activité des banques vers des métiers plus rémunérateurs : assurance vie, gestion de patrimoine,… De plus, les banques vont devenir de véritables intermédiaires de marché en achetant massivement des actifs financiers.

Cette modification de stratégie se caractérise par une volonté des banques de baisser leur coût, d’augmenter leur productivité et de créer des économies d’échelle. En premier lieu, elles suppriment les guichets qu’elles jugent inutiles car pas assez rémunérateur. Ensuite, il y a une vague de concentration et de restructuration qui augmente la taille des établissements (ex : fusion BNP-Paribas en 1999) mais aussi à un rapprochement entre les métiers de banquier, d’assureur et de gestionnaire de portefeuille. Les banques françaises deviennent donc des « super banques » proposant un ensemble de service de plus en plus diversifié. En effet, la probabilité de faillite des banques n’est pas nulle, par exemple la faillite en 1995 de la banque Barings en Angleterre qui existait pourtant depuis 1762. Enfin, les nouvelles normes européennes ont permis le développement des fusions acquisitions entre les pays afin que les banques augmentent leur nombre de clients, développent de nouveaux métiers ou encore renforce leur position sur un territoire afin de limiter la concurrence.

Le développement des grands établissements bancaires aujourd’hui s’est fait sans véritable contrôle et sans une réglementation imposant une limite à l’activité bancaire. L’absence de mutualisation des banques, le développement de la spéculation et la création de produits financiers de plus en plus complexe ont créé une instabilité bancaire croissante. Néanmoins, malgré la hausse de la prise de risque, la diversification en période de crise apparait efficace.

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