Institutions financières: des choses à dire

Les institutions bancaires exercent plusieurs métiers différents au sein d’un même établissement. On distingue classiquement deux branches de leur activité : une activité de banque de détail et une activité de banque d’investissements. A cela vient se rajouter une activité d’assurance qui s’est très fortement développée ces dernières années. Or, c’est cette « triple-casquette » qui a été largement critiquée et tenue pour une grande part responsable, par nombre d’observateurs du monde économique et financier, d’avoir créé les conditions du déclenchement la crise des subprimes en 2007. Est-il donc sain et éthique pour les banques de cumuler ces trois activités ?

Banque de détail et banque d’investissement

Définition des activités et positionnement du problème
Les grandes banques sont à la fois banques de détail et banques d’investissements, c’est-à-dire qu’elles gèrent, d’une part, les liquidités provenant des dépôts des particuliers et des petites et moyennes entreprises, et, d’autre part, qu’elles travaillent, surtout avec les grandes entreprises, afin de réaliser des placements sur les titres et valeurs mobilières, c’est-à-dire sur les marchés financiers.

Cette configuration fait ainsi des institutions bancaires, à la fois les gardiens des dépôts, mais en même temps un établissement qui peut proposer des investissements à ses clients, et sur lesquels elle touche une commission. Tout d’abord cela fait peser un risque sur les dépôts si les investissements opérés par la banque elle-même se révèlent être perdants, mais cela place également les banques dans ce que certains n’hésitent pas à appeler un « conflit d’intérêt », puisque la banque peut conseiller à ses propres déposants des investissements sur lesquelles elle espère toucher une rémunération.

Le Glass-Steagall Act
C’est afin de lutter contre cette instabilité au sein des établissements bancaires, et de rassurer les déposants, que la séparation entre les activités de banque de détail et banque d’investissement est instituée dans la législation américaine en 1933. Et c’est ainsi que la banque JP Morgan & Co choisit de se consacrer exclusivement à la banque de détail, et que des dirigeants mécontents s’en vont fonder la banque d’investissement Morgan Stanley.

Le Glass-Steagall Act est finalement abrogé en 1999 par le Gramm-Leach-Bliley Act, principalement parce qu’il était largement contourné par les banques américaines qui se servaient de filiales à l’étranger afin d’investir sur les marchés financiers, à Londres en particulier. Il faisait donc figure d’entrave au développement bancaire du pays, en ne lui permettant pas de développer de grandes institutions financières, capables de prendre leur part du développement fulgurant de la finance mondiale, à la fin du XXème siècle.

La crise des subprimes

La titrisation
La crise économique que nous connaissons depuis fin 2007 trouve son origine dans une crise du système des prêts hypothécaires américains à risque, les subprimes. Une fois ces prêts consenties, le risque que ces investissements représentaient a été incorporés dans des produits financiers structurés complexes, avec d’autres créances qui étaient, elles, beaucoup plus sûres, permettant ainsi à ces produits d’obtenir la note convoitée AAA des agences de notation. Une fois « titrisées » sous forme d’ABS (Asset-Backed Security) et de CDO (Collateralised Debt Obligation), elles étaient vendues à des sociétés d’investissements, les hedge funds en particulier, parfois détenus par les banques elles-mêmes.

On voit ainsi comment des prêts immobiliers risqués, consenties dans le cadre d’une activité de banque de détail, passent ensuite par la banque d’investissement qui les transforme en titres financiers, en camouflant leur risque, pour les revendre à leurs clients. Notons que puisque ces investissements généraient un rendement élevé sans risque apparent, ce marché a attiré de nombreux investisseurs, contribuant ainsi à faire gonfler une bulle immobilière auto-entretenue par une bulle des crédits à risque (crédits hypothécaires), puisque ces subprimes étaient fondés sur l’anticipation que le marché de l’immobilier continuerait de grimper, contribuant à une hypothèque artificiellement gonflée. Ce système s’est donc auto-entretenu jusqu’à ce que la bulle éclate.

On peut ainsi estimer que si les établissements qui octroyaient les prêts et qui les « titrisaient » avec la garantie de les revendre ensuite à leurs clients de la branche Investissement n’avaient pas été les mêmes, le système n’aurait pas pu prendre une telle ampleur. En effet, si l’on imagine que des banques d’investissement achetaient des créances à des banques de détail distinctes, les premières auraient été plus méfiantes, et l’emballement qui a facilité l’octroi de prêts à des ménages incapables de rembourser leurs emprunts, n’aurait peut-être pas eu lieu.

Les Credit Default Swaps
Les Credit Default Swaps (CDS) sont des accords conclus lors de l’achat de titres financiers afin de se prémunir contre les risques de défaut de paiement. Ils peuvent être conclus entre l’acheteur des titres et le vendeur, par exemple lors de la vente d’un CDO par une banque d’investissement à un hedge fund. Ces contrats qui constituent une forme d’assurance pour l’acheteur, sont échangés de gré à gré et hors-bilan. Ils rentrent donc dans la catégorie des « dérivés OTC » (Over The Counter), et sont donc parmi les produits financiers les moins contrôlés par les autorités financières. Si l’on reprend l’exemple ci-dessus, l’acheteur et le vendeur peuvent également avoir recours à des entités spécialisées dans les CDS, celles-ci s’étant fortement développées quelques années seulement avant la crise, au sein d’un marché qui est passé de 6 396 milliards de dollars américains à fin 2004 à 57 894 milliards à fin 2007.

Leur rôle dans la crise des subprimes est déterminant. En effet, c’est notamment parce que les CDO et les ABS étaient couverts par des CDS qu’ils ont pu obtenir la mention AAA des agences de rating comme Standard and Poor’s, et qu’ils ont ainsi constitué un placement jugé sûr, s’intégrant donc de manière massive dans les portefeuilles de la majorité des grands acteurs financiers mondiaux.

Or, lorsque la vague de défauts de paiements de ces propriétaires fonciers à risque a déferlé, créant une spirale à la baisse du prix de l’immobilier, les assureurs comme AIG, qui avaient multiplié leur présence sur le marché des CDS, ont eu de grandes difficultés. Ils étaient dans l’incapacité financière de faire face à un évènement d’une aussi grande ampleur, d’autant plus que le prix des actifs immobiliers, mis en vente les uns après les autres, et qui constituaient la contrepartie des CDO et des ABS, se sont effondrés.

On comprend maintenant comment des produits financiers qui ont toutes les apparences d’assurances, ne sont pas soumis aux mêmes contrôles et au même formalisme que les contrats d’assurance classiques, et l’étendue des risques que cela comporte.

Le retour du contrôle politique de la finance

La « Volcker Rule »
Paul Volcker, ancien directeur de la FED, est de retour parmi les conseillers de la Maison Blanche. Il a proposé fin janvier 2010 de revenir à une forme de séparation des différentes activités des institutions bancaires, afin de rendre le système financier moins complexe. Ce que l’on nomme déjà le « Volcker Rule » dans la presse américaine, un texte qui proposerait d’interdire aux banques de posséder des hedge funds et de réaliser des investissements sur les marchés financiers avec leurs propres fonds (proprietary trading). Elles ne seraient donc pas tenues à une séparation de leurs activités de l’ampleur du Glass-Steagall Act, et pourraient à la fois conserver leur activité de banque de détail et de banque d’investissement, mais limitée aux investissements qu’elles réaliseraient pour leurs clients.

Cette proposition a pour but de rendre plus transparent et plus stable le système financier, en faisant en sorte que les risques liés à la spéculation sur les marchés, ne pèsent plus sur les activités de gestion des dépôts, et que la position des banques d’investissements soit moins confuse, puisqu’elles sont encore aujourd’hui à la fois créatrices de produits dérivés, conseillant leurs clients quant à l’achat de produits dérivés, parmi lesquels se trouvent les leurs, et enfin intervenant elles-mêmes sur les marchés en tant qu’investisseurs.

Cependant, les oppositions sont déjà nombreuses à Wall Street, qui dénoncent la perte de compétitivité qui en découlerait pour les banques américaines au profit des banques européennes, comme cela avait déjà été le cas avec le vote du Glass-Steagall Act, qui avait garantie l’essor de Londres comme première place financière mondiale.

Le marché des CDS
Après la crise, une volonté forte des régulateurs des marchés financiers européens et américains d’encadrer le marché des CDS s’est déclarée, marché qui avait pris une ampleur considérable jusqu’en 2007, et qui avait pour caractéristiques principales d’être totalement opaque, et de recourir à des contrats aux clauses trop complexes. Les régulateurs internationaux ont notamment l’ambition de créer des organismes capables d’opérer un contrôle permanent et centralisé sur le marché, et d’autoriser seulement un certains nombres de contrats-cadres pour ce type d’opérations, élaborés en partenariats avec les grands acteurs du secteur, notamment AIG et Bear Stearns. Mais une telle mesure semble pour l’instant lointaine car d’une grande rigidité, qui contraste avec la souplesse et la rapidité des échanges qui caractérisent les « dérivés OTC ».

Conclusion
Si la crise des subprimes a révélé une chose, c’est qu’en quelques décennies, le système financier mondial, à la tête duquel se place la finance américaine, s’est considérablement développé et complexifié. Il est devenu, pour une bonne part, hermétique à la compréhension de l’opinion publique, voire de la classe politique, et a souvent pris de vitesse jusqu’aux régulateurs eux-mêmes, le marché des CDS en fournissant un bon exemple. Plusieurs dysfonctionnements se sont cumulés pour aboutir à la crise financière de 2007, parmi lesquels, les liens entre activité de détail et d’investissement des banques, et leurs liens à certains types d’assurances financières non encadrées par les pouvoirs publiques, auxquels il faudrait ajouter les échecs des agences de rating.

L’heure semble donc être à la simplification et à la transparence des institutions bancaires aux États-Unis, où les partisans de Paul Volcker paraissent déterminés à ne plus laisser aucune banque devenir « too big to fail ». Mais il n’est pas sûr qu’ils pourront faire voter leurs propositions s’ils n’obtiennent pas d’accord avec l’Europe, où la détermination à opérer de telles réformes semble encore modérée.

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