Sur Boursorama.com ou NewsManagers.com, on pouvait lire un article fort troublant, intitulé: « Bientôt, la revanche du chartisme ! » (Par Didier Laurens). En voici le contenu:
Pour Antoine Billot, professeur de sciences économiques à l’Université de Paris II et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France, la crise va favoriser le renouveau du chartisme, même si cette discipline doit encore trouver son langage théorique. Comme Antoine Billot, Thami Kabbaj, thésard et auteur d’un livre sur la psychologie des traders (Editions Eyrolles), considère que la revanche du chartisme passe aussi par la reconnaissance du monde académique.
– Newsmanagers.com : Pourquoi le chartisme est-il tant décrié ?
Antoine Billot / Thami Kabbaj : Le chartisme – l’analyse technique financière popularisée en Occident par Charles Dow, le créateur du Wall Street Journal – a fait l’objet d’une véritable campagne de démolition systématique à partir des années 60. Au mieux l’assimilait-on alors à une approche financière de la voyance (une boule de cristal en guise de modèle), au pire à une conception nocive autant qu’archaïque des marchés financiers ; on traitait les chartistes de noise traders et – défaut suprême – on considérait l’analyse technique comme moins noble que l’analyse fondamentale en ceci que, d’essence empirique, elle n’était pas parée des atours rassurants et abscons de la science. C’est ainsi que, malgré sa relative jeunesse, l’analyse fondamentale a très vite réussi à s’imposer auprès du monde académique puis, par contagion, à convertir ceux des jeunes traders qui, de par leur formation, étaient a priori plus sensibles au charme élitiste d’une équation mathématique qu’à celui, apparemment plébéien, d’une analyse empirico-statistique.
– Le chartisme a-t-il, malgré tout, conservé sa place dans l’univers de la gestion d’actifs ?
AB/TK : Au terme de cette campagne de dénigrement, force est de constater que l’aura du chartisme n’a pas diminué auprès du grand public, ni d’ailleurs auprès des professionnels les plus méfiants, c’est-à-dire les plus roués aux caprices des marchés. Bien au contraire. Ainsi, des gérants aussi renommés que Steve Alan Cohen, Bruce Kovner ou Paul Tudor Jones, qui opèrent sur les marchés depuis plusieurs décennies et affichent régulièrement des performances très élevées, restent des partisans affichés de l’analyse technique.
– Pourquoi le chartisme conserve-t-il cette « popularité » ?
AB/ TK : Les raisons de la résistance du chartisme sont multiples. D’abord, l’analyse fondamentale est comme un « torchon sur un télescope » quand il s’agit de prévoir une crise majeure (bulle spéculative, krach…) : en mars 2000, 99 % des analystes de Wall Street étaient résolument acheteurs ; plus récemment encore, en dehors de quelques très rares exceptions comme Nouriel Roubini, aucun fondamentaliste « intégriste » ne parvenait à anticiper les conséquences de la crise des subprimes. Ensuite, les scandales qui ont émaillé la vie financière de ces dernières années (Enron, Parmalat, WorldCom, EADS, etc.) démontrent à l’évidence l’effet éminemment pervers des asymétries informationnelles que les fondamentalistes nient par aveuglement théorique ou par idéologie. Enfin, certains économistes, comme Cheol-Ho Park ou Scott H. Irwin, font état de ce que sur 92 analyses récentes fondées sur l’analyse technique, 58 publient des résultats positifs et seulement 24 études des résultats négatifs. De même, de nombreux sondages réalisés auprès des professionnels démontrent que pour une grande majorité d’opérateurs, l’analyse technique s’affirme comme la méthode la plus efficace afin d’anticiper les cours boursiers à court terme autant qu’à moyen terme. En outre, dès 1983, des économistes comme Richard Meese et Kenneth Rogoff révélaient que les modèles macroéconomiques classiques prévoyaient moins bien l’évolution des taux de change, malgré la sophistication des techniques statistiques employées, que les modèles naïfs fondés sur de simples moyennes mobiles.
– Pourquoi le succès du chartisme est-il, malgré tout, limité ?
AB/TK : Malgré son succès avéré donc auprès des opérateurs financiers, le chartisme n’a pas encore réussi à acquérir de véritable légitimité au-delà d’un certain cercle. C’est que la revanche du chartisme ne peut passer que par la reconnaissance du monde académique. Et les nombreux éléments empiriques et théoriques cités plus haut ne parviennent pas pour l’instant à le convaincre tout à fait — en raison sans doute d’une méconnaissance de cette approche plutôt que d’une réticence argumentée à son endroit. Même si, ces dernières années, plusieurs recherches ont été menées qui prouvent la réelle efficacité de l’analyse technique — Carol Osler, économiste à la Réserve fédérale américaine, ou Andrew Lo, responsable du département ingénierie financière du MIT, ont ainsi montré (séparément) qu’il était possible d’anticiper correctement les mouvements à court terme grâce à l’analyse technique — le chartisme doit encore inventer son langage théorique, celui avec lequel il s’adressera au monde académique pour le convaincre.
– Comment améliorer la scienticité du chartisme ?
AB/TK : Plusieurs pistes sont actuellement suivies par les théoriciens qui défrichent le sujet. D’abord, l’analyse technique a depuis longtemps pris la mesure de l’importance de la psychologie dans la détermination des cours boursiers et cela, bien avant les travaux effectués par les comportementalistes — lesquels insistent désormais sur l’importance des biais psychologiques dans l’explication des anomalies boursières, sans toutefois en tirer de conclusions particulières. L’analyse technique, qui repose avant tout sur l’existence de comportements récurrents chez les opérateurs, produit déjà, quant à elle, des figures chartistes, c’est-à-dire en réalité des modèles graphiques aptes à décrire certaines des nuances les plus fines de la psychologie des intervenants.
– Y-a-t-il d’autres pistes ?
AB/TK : Ensuite, une deuxième piste semble particulièrement prometteuse : celle reposant sur la Case Based Decision Theory. Selon cette théorie récente, la prise de décision en situation d’incertitude est essentiellement fondée sur l’expérience accumulée au sein de la mémoire des décisions passées. Et contrairement à l’analyse fondamentale qui est « rule-based » plutôt que « case-based », l’analyse technique requiert précisément, afin de prédire l’avenir, de repérer les récurrences dans la séquence des données passées.
Lorsque la lecture de cette article/interview prend fin, de nombreuses questions restent en suspens: nous allons donc les poser et tenter d’y répondre, pour chacune des questions.
Pourquoi le chartisme est-il tant décrié ?
Prenez un feuille Excel, tracez une variable aléatoire sur 400 lignes par exemple. Programmez une moyenne mobile à 20, 50 et 100 jours. Que remarquez vous ? Que les propriétés statistiques de cette série temporelle sont identiques aux propriétés statistiques de l’Analyse Technique. Évidement, qui dit propriétés statistiques parle de « charme élitiste » de formules mathématiques. Mais ce qui ressort de cet exemple simple, c’est que le pouvoir explicatif de cette analyse « empirico-statistique » est nul car rien n’explique les variations d’une variable aléatoire (puisque aléatoire), pourtant, l’Analyse Technique prétend pouvoir l’expliquer. C’est une première absurdité puisque, même si la controverse peut exister à considérer les variations d’un actif ou d’un panier d’actifs comme une variable aléatoire, prétendre expliquer ou prévoir des variation qui par définition n’ont pas d’explication relève de la pure chimère, d’une approche financiaro-statistique de la voyance. Bien que l’analyse technique se rapproche plus de l’analyse des comportements plutôt que de l’explication des variations d’une donnée financière, même en cela son pouvoir explicatif est biaisé, puisque ces comportements (rationnels ou non) sont mieux expliqué par une approche psychologique que par une approche qui tente d’expliquer l’inexplicable.
Le chartisme a-t-il, malgré tout, conservé sa place dans l’univers de la gestion d’actifs ?
Cette croyance, tout comme la voyance, n’échappe pas au phénomène de son auto-réalisation: plus on y croit et on dit que cela marche, et plus le fait que toute la masse y croit fait de cette croyance une réalisation concrète conforme aux prévisions (prédictions de la voyante). Donc, être fier de la victoire d’une maladie sur une grande masse des participants au marché parait relativement douteuse du fait que si ces croyances n’avaient pas été véhiculés par une (des)information soutenue, elles n’auraient jamais existé, contrairement aux fondements financiers et économiques qui de toute évidence expliquent plus de variance que n’importe quel indicateur technique (même réunis).
Pourquoi le chartisme conserve-t-il cette « popularité » ?
Mais de quoi parle-t-on ? Si ces chartistes qui sont si nombreux et si éclairés étaient des visionnaires avertis, pourquoi n’ont-ils pas tous annoncé au monde leurs prévisions? Pour la simple et bonne raison que la plupart étaient fausses ! Par contre, de nombreux économistes disaient vrai. Par exemple, certains économistes du NBER (National Bureau of Economic Research) avaient averti une année avant le début de la crise des subprimes qu’une hausse virulente des prix du pétrole étaient toujours suivie d’une violente récession. D’autres, outre Nouriel Rubini qui n’est pas le seul contrairement à ce que l’on peut croire, ont tous prédit avec plus ou moins d’avance les conséquences et/ou les remèdes de cette crise. D’autres encore avaient prévenu à mainte reprise le Trésor et la Fed américaine de l’instabilité économique qu’avaient fait naitre ces crédits hypothécaires financiarisés. La négation des annonces de ces économistes n’est pas de la faute des chartistes, ils ne sont responsables d’aucun des maux ; elle profite plutôt aux gouvernements qui savaient mais qui voulaient, à tort ou à raison, maintenir une certaine confiance ambiante (afin de ne pas aggraver la crise peut-être) qui n’a pas tenue bien longtemps. Quoi qu’il en soit, depuis 1983, les sciences économiques, théoriques et empiriques, ont fondamentalement changées. Depuis les théories de Rogoff, l’économie en général s’est transfigurée. Est-ce que cela ne doit-être qu’au détriment de la théorie économique « élitiste » ? Bien sur que non. Depuis 1983, l’analyse technique a aussi évoluée, avec de nouveaux indicateurs et de nouveaux gourous. Est-ce que ce développement s’est pour autant effectué au détriment des théories économiques ? Bien sur que non. Pour répondre clairement à la question, l’Analyse Technique n’a pas gagnée une once de popularité en milieu universitaire (et c’est tant mieux). En effet, les théoriciens se refusent à l’enseigner, laissant cette corvée à quelques statisticiens qui composent certains de leurs exercices de licence en vue de faire travailler les élèves à améliorer leur manipulation des multiplications et des divisions (et de la voyance ?). Bref, cette matière, qui n’en est pas (puisque qu’il s’agit d’une application statistique plutôt que d’une théorie économie et/ou financière), a de grand jours devant elle, mais pas à l’université ou dans les grandes écoles. La popularité viens de quelques illuminés qui gagnent en appliquant ces techniques (pour 10000 fois plus d’illuminés qui s’éteignent (perdent) en faisant pareil mais qui se taisent, sans doute par honte de parler…). A ce rythme, cela ne peut que devenir de plus en plus populaire: autant en économie, une erreur de prévision trouve une explication théorique qui pointe du doigt les défaillances de la précédente, autant dans la pratique de la voyance, on ne pointe du doigt que les succès, alors que les échecs sont bien plus nombreux et n’ont pas d’explication par cette même théorie si ce n’est la sortie d’un nouvel indicateur confirmant ou infirmant les erreurs passées qui ne sont toutefois presque jamais médiatisés (parce que inexplicables ?).
– Pourquoi le succès du chartisme est-il, malgré tout, limité ?
Même si certains théoriciens ont montré qu’une discipline purement statistique pouvait servir les opérateurs financiers à des fin prévisionnelles à court terme, la finance (tout comme l’économie) ne doit pas être un disciple du court termisme. Et si la finance ne se voit qu’à court terme, alors elle cours à sa perte. Par ailleurs, aucun économiste ne considère l’économie à court terme, alors pourquoi la finance me direz vous ? Peut-être à cause de l’analyse chartiste, surement à cause de l’appât du gain rapide. Mais ce qui est certain, c’est que le développement du chartisme ne peut être que limité pour les raisons cités précédemment. Du simple fait qu’elle n’est pas enseigné dans les haut lieux de recherche, elle ne peut se développer plus structurellement et rigoureusement (revues à comité de lecture par exemple). Et c’est tant mieux ! En effet, pourquoi créer une revue à comité de lecture pour une matière qui parait scientifique mais qui ne propose que des contradictions fonctions de celui qui regarde le graphique ? La recherche fondamentale, ce n’est pas ça, et espérons que cela ne le devienne jamais.
– Comment améliorer la scienticité du chartisme ?
Dernière question, comme pour remédier à la précédente réponse, le remède se trouve ailleurs, dans l’au delà, où dieu nous expliquera nos erreurs de voyance. Trêve de plaisanterie: la scienticité du chartisme ne peut être améliorée que par une véritable trouvaille admise par tous et vérifiée au moins théoriquement et au mieux empiriquement (ou l’inverse selon vos sensibilités épistémologiques). Mais tout cela est loin d’être le cas. Peut-être que cela commence par une interprétation plus rigoureuses, d’autres diront (beaucoup parmi les 10000 illuminés qui brillent moins) que cela commence par une amélioration des résultats, mais tous s’accorderont à dire que les réponses aux variations boursières se trouvent plus à l’échelle macro/micro économique qu’à la lecture d’un graphe.
1 comment for “Bientôt, la revanche du chartisme ! (Analyse Technique)”